PLASTICIENNE SONORE

ECRIT

MÉMOIRE MASTER CONCEPTION SONORE

UNE ÉCOUTE DU SENSIBLE

TRAVERSÉE D’ESPACES

ENSATT, 2019

Le son est vivant

Création d’un espace d’écoute. Quelques tapis recouvrent le sol poussiéreux d’un grenier. De vieilles lampes aux abat-jours décousus installent une ambiance chaleureuse, mais surtout intrigante. Le lieu même n’est pas commun, hors du temps. Dans cet espace, une simple stéréo. J’accueille dix amis qui ont fait le choix de venir écouter, de vivre une expérience. Le silence s’installe. Je lance « Absence ». (…)

Se faire surprendre par sa propre écriture. Réaliser et accepter que cette oeuvre me dépasse. Que j’ai été le temps d’un instant la déviation des matières qui la compose, et que, désormais qu’elles sont données à entendre, elles reprennent pleinement leur liberté. Que même mon écriture n’a fait que les modeler, les guider. Le son est vivant. Et rien n’est plus complexe que le vivant. Impossible de le contrôler, de l’analyser dans son entièreté. Laissons-le s’écouler entre nos doigts. (…)

John Cage amène à accepter la part d’imprévu dans une écriture sonore ou musicale. C’est-à-dire à une ouverture sur les sons non contrôlés, non écrits. Mais sa réelle intuition est de considérer ces sons comme actifs, et donc d’affirmer que ce qui fait œuvre, en réalité, est l’union de ces deux univers, sons modelés et sons bruts. Une communion entre ce qui est donné et ce qui est accueilli est-elle indispensable pour que l’œuvre puisse exister et ne pas être réduite à un objet qui se parle à lui-même ? Finalement, le son redevient vivant par les espaces de liberté qu’on lui offre à se confondre avec son nouvel environnement.

Ne serait ce pas là une analogie de la rencontre ? En est-il de même avec le spectateur ? Celui qui donne à voir, à entendre doit-il laisser des espaces de silence et de noir pour que l’œuvre devienne vivante ? Le devient-elle parce qu’elle a suffisamment d’espace libre pour se confondre avec l’intimité du spectateur ? (…)

Je suis debout, toute la surface des pieds ancrée dans la terre. Mon corps est détendu et flexible, se laissant porter par les aléas du vent. Quelqu’un vient me souffler au-dessus de l’oreille. Ma tête suit le courant proposé et revient lentement à sa position initiale, toujours en légère oscillation. Les pieds ne se décollent jamais du sol. Puis, un souffle plus puissant vient me déplacer dans le bas de mon bassin. Il se plie, marque un mouvement arrondi et retourne en son centre.

Le souffle suggère une direction et le corps réagit puis suit son propre chemin, tel un écho. Si le souffle varie dans sa puissance et dans sa fréquence, il peut amorcer un mouvement dans le corps qui deviendra de plus en plus ample. Mais s’il vient d’une seule position en continu, dicte une seule et unique direction, alors le corps se braque, et le mouvement meurt.

Dans le « Théâtre du silence » d’Ushio Amagatsu, le dialogue entre son, corps et lumière, (…) est ce souffle grâce auquel le spectateur peut entrer en errance dans son propre corps. Il est le signe qui permet de déployer l’espace intime du spectateur. « [Il] traduit une conviction vitale, une conviction intime. Il nous apporte l’écho des chambres secrètes de notre être. » (…)

Une intimité déployée peut-elle être induite par une écoute du sensible, une écoute de son propre corps ? Un souffle juste et sincère ? Comme sur une toile blanche aux mille yeux, où viennent se dessiner les mouvements d’une main traversée par les flux du monde. Les mouvements d’une main guidée par un état, un comportement, un geste. (…)

Extrait du ch.I « Un silence », p.15-18.

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